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Le magazine de l'économie des sports outdoor

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  • Rédaction

Stations, les enjeux de la diversification

L’hiver 2019-2020 n’aura jamais autant reflété la raréfaction des précipitations neigeuses et ses conséquences en termes d’exploitation des domaines skiables. L’actualité interroge avec brutalité la notion de diversification.



Plus un jour sans un reportage en presse nationale
 ou régionale qui interroge
sur la situation d’une station
de sports d’hiver de basse ou
 moyenne altitude exposée à 
l’amincissement de son manteau neigeux. Le regard vers
le ciel, Gilles Bruno reconnaît
que la situation climatique de
l’hiver en cours est singulière.
« Nous constatons que, conséquemment à la hausse des
 températures, la limite pluie-neige a tendance à remonter. En corollaire, en-dessous de 1500 mètres d’altitude, les mesures réalisées depuis 1959 sur la station de Chamonix révèlent que le cumul de chutes est nettement plus faible aujourd’hui que dans les années 1970, d’environ 50%» restitue le météorologue du centre Météo-France des Alpes du Nord. Mais du coup cet enneigement plus aléatoire et changeant laisse des massifs montagnards démunis même si, dès octobre, les premiers tapis, parfois des chutes de neige conséquentes, avaient réjoui la filière.

En réponse, le travail de la neige à l’aide d’engins bardés de capteurs pour mesurer l’épaisseur et la juste répartition et, en amont, la préparation des pistes l’été, transformées en réelles moquettes de verdure, deviennent des outils d’autant plus précieux pour garantir aux skieurs des conditions praticables avec de faibles épaisseurs. L’enneigement artificiel sécurise également la pratique ; une solution d’avenir pour Jean-Christophe Hoff. « Nous devrons atteindre sinon dépasser le degré d’équipement atteint par l’Italie, la Suisse ou l’Autriche car la neige de culture signifie des emplois, des activités, une vie locale », indique le directeur général de l’exploitation de La Clusaz. Son analyse repose sur la présence abondante de l’eau dans les massifs, ressource « qu’il faudra toujours mieux gérer, à l’aide de retenues collinaires peut-être même en plaine car le stockage représente la clé des prochains hivers ». En parallèle, l’émergence d’entreprises capables de fabriquer des solutions mobiles pour produire de la neige par température positive promet des réponses innovantes à la raréfaction ponctuelle ou prolongée des chutes de neige naturelle. Toutefois, de telles prouesses ne suffiront pas à couvrir l’immensité des surfaces concernées par la pratique du ski. Le président de l’Association Nationale des Maires de Stations de Montagne (ANMSM), Charles-Ange Ginesy reconnaît que le recours aux solutions techniques (tel l’héliportage, largement commenté dans les médias) ou technologiques « peut se justifier mais ne doit pas toujours devenir monnaie courante ». Ce d’autant plus que l’attention des stations est aussi captée par une pression croissante des réseaux sociaux sur la dimension environnementale du ski.


Quels palliatifs ?


Diversification, le mot est devenu d’usage courant. Son premier sens s’est traduit au cours des quinze dernières années par la densification de l’offre de loisirs en station, afin d’animer les fins de journée de ski. La modernisation des remontées mécaniques, la fluidité apportée aux pistes rendent la pratique plus aisée, plus accessible, plus rapide. En conséquence, le comportement des skieurs a changé. Attendu que les organismes humains n’ont guère plus d’endurance en 2020 qu’ils en avaient en 2000, les skieurs consomment aujourd’hui un même dénivelé en moins de temps. Après quelques heures de glisse, ils se tournent donc vers l’offre complémentaire disponible sur leurs lieux de villégiature. Intimement convaincu que la clientèle vient l’hiver à la montagne pour le ski, Michel Girard reconnaît que cette clé d’entrée historique ne satisfait plus forcément tous les usagers de la montagne. « Les études évoquent de 10% à 25% de non-skieurs dans les stations de sports d’hiver. Il faut donc sur place des activités ludiques : sentiers raquettes, accès au domaine à pieds via les remontées mécaniques car ce sont autant de parts de marché » pointe le directeur marketing de la station du Châtel. Vice-président de France Montagnes en charge de la communication, il voit dans les équipements aqua-ludiques, centres de bien-être et autres propositions hors ski un complément nécessaire. « La fréquentation de la montagne l’hiver reste assujettie aux plaisirs de la glisse, mais la présence d’une offre de loisirs enrichie peut faire la différence », reste-il persuadé. Les nouvelles formules «Skieo», récemment constituées sur la station entre la société de remontées mécaniques et le centre «Forme d’O» pour conjuguer le ski matinal et les sensations aquatiques l’après-midi, enregistrent d’ailleurs une progression régulière.


Sur le domaine aussi, les pistes thématiques se multiplient. Dédiées aux enfants ou pédagogiques, elles narrent l’histoire de la vallée. Bientôt naîtra celle dédiée à l’épopée du fromage Abondance, un itinéraire accessible au plus grand nombre, et plus forcément à ski. « Il y a vingt ans, aucun de nos clients n’envisageaient de venir dans nos stations sans pratiquer le ski. Désormais, nous estimons que trois vacanciers sur dix sur nos territoires ne sont plus là pour la glisse mais pour la qualité de nos espaces », confirme Charles-Ange Ginesy. En corollaire, les «aventures fun et ludiques» se multiplient « pour rapprocher chaque jour un peu plus l’imaginaire populaire adossé à la montagne des attentes des clientèles », dépeint Jean-Christophe Hoff. « L’usage piétonnier des remontées est en hausse et l’activité luge a enregistré, l’an dernier, près de 150 000 passages », ajoute le directeur de la Clusaz. Un travers apparaît néanmoins dans cette diversification : le mimétisme. Chaque innovation ludique et insolite a progressivement été copiée, décuplée dans une logique de suivisme. Les stations de sports d’hiver en sont, du coup, venues à formuler les mêmes offres et les mêmes services. Piscines, SPAs, sorties raquette, traîneaux à chiens, sortie en dameuse, nuits insolites en igloo, descentes en luge, font désormais partie intégrante des pratiques usuelles des destinations de montagne.


Personnalisation à la clef

En réaction, la diversification a pris un autre sens, une différenciation. Des stratégies alternatives de démarcation voient le jour pour impulser des dynamiques afin de ne plus forcément ressembler à ses voisines. « Notre marché présente une offre importante mais le produit ne créé plus la différence, c’est l’expérience client, leur accompagnement », indique Pierre Métayer. « Dans cette logique, il convient que chaque acteur ait l’ambition de composer une part de cette histoire, pour faire sens et créer une cohésion de territoire », analyse le directeur général de Techfun. Patrick Grand’Eury partage cette sensibilité. Le dirigeant de Lumiplan et président du Cluster Montagne s’interroge lui aussi sur l’excès de similitudes des stations, « chacune avec son télésiège chauffant et les mêmes équipements ! ». Son regard se tourne davantage vers la manière de produire en stations de montagne des coopérations gagnant/gagnant, entre équipementiers, fournisseurs, gestionnaires de domaines, municipalités. Un raisonnement à l’échelle des territoires. Le cluster qu’il préside s’est en ce sens attaché à concevoir, en 2019, un premier «cahier de tendances montagnes» présenté début décembre.

A l’intérieur sont esquissées les mues possibles du tourisme en milieu montagnard. « Évolutions climatiques, digitalisation de la société, nouveaux paradigmes de consommation interrogent sur l’avenir. Personne n’a individuellement la solution. C’est la capacité de la filière à travailler collectivement qui fera évoluer », résume Patrick Grand’Eury.


Cette stratégie, le Sancy, dans le Puy-de-Dôme, l’a testée avec pour objectif d’acquérir la capacité à répondre rapidement et opportunément au contexte climatique de l’hiver. « Les prestataires ont compris la nécessité de savoir proposer de l’accrobranche au début des vacances puis, s’il neige, de la location de skis », explique Luc Stelly, directeur de l’office de tourisme du Sancy. L’aptitude à proposer des équipements d’ordinaire sollicités l’été pour servir l’hiver représente la bonne solution pour Emmanuel Bolon. Le dirigeant de B2D Conseil y perçoit les bases d’un scénario adaptatif des destinations de montagne face aux contextes climatique, économique et social. « Les petits sites en moyenne altitude ont à identifier les moyens de devenir des territoires de vie d’altitude à l’année ; en chouchoutant leur domaine de dimension équilibrée, en renforçant aussi les liens et les activités complémentaires entre vallées et stations ». Dans cette perspective, les habitants «d’en haut» pourraient même travailler «en bas», l’inverse de ce que vivent les territoires supports de station aujourd’hui. A travers ce prisme, les efforts de diversification destinés à générer des plaisirs complémentaires et/ou alternatifs à la pratique du ski participent à dessiner un nouveau modèle de stations de sports d’hiver.

A l’intérieur, le ski demeure le réel moteur et la source d’attractivité mais les offres hors-ski se structurent avec énergie. C’est clairement le chemin suivi par l’ESF cette année à travers le programme «Montagne Expériences ESF». Sous cette nouvelle marque, l’enseigne nationale de l’apprentissage du ski prépare la commercialisation d’offres de loisirs agrégées, capables de répondre à toutes les conditions d’hiver : grande neige ou rares épaisseurs. Cette création de valeur supplémentaire est le véritable «dada» d’Eric Bouchet. Le directeur général de l’office de tourisme des 2 Alpes promeut le concept de packages préformatés où s’associent hébergement, forfait et transport. « Avec une quinzaine de packages type, nous satisfaisons 90% de la population. Désormais, nous devons aller vers le tout compris à la carte. Le digital nous aidera à personnaliser la réponse. Selon les choix de forfait, de restauration, de prestations, il deviendra possible d’incrémenter des ventes additionnelles pour que le produit définisse parfaitement l’individu ». L’heure de la diversification n’en est donc qu’à ses débuts. /// R.Sandraz



©photos : MCF.Corsi/Altenativemedia/RS/TSL Outdoor/Courchevel

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