Fraîchement nommé à la direction de l’Agence Savoie Mont-Blanc (ex-SMBT), Michaël Ruysschaert fait le point sur la fréquentation touristique dans les départements de Savoie et Haute-Savoie, il esquisse quelques pistes de réflexion pour l’avenir de la destination.
Quelles sont vos premières observations sur les vacances de février ? Y-a- t-il une différence entre les départements de Savoie et de Haute-Savoie en termes de fréquentation ? Le taux d’occupation des vacances de février est de 37% en moyenne mais il y a une grande disparité entre les stations au sein même de notre territoire Savoie Mont- Blanc, puisque certaines atteignent 77% et que d’autres plafonnent aux alentours de 12%. A mon sens, ce n’est pas une question de département mais de produit. Les stations qui offrent une pluralité d’activités, en particulier du ski de fond, enregistrent des bons taux de remplissage, alors que celles qui sont orientées « tout ski » sont logiquement plus en difficulté. Si on a l’impression que les stations de Haute-Savoie s’en sortent mieux c’est parce qu’elles offrent une expérience village tournée vers un public familial et qu’elles accueillent traditionnellement une clientèle nationale plutôt qu’internationale. Il s’agit pour l’essentiel de stations situées entre 950-1200m d’altitude, à part Flaine et Avoriaz qui sont au-delà de 1800m. Si on parle du modèle de la vallée des Belleville ou de Tarentaise, on est plutôt sur des stations de haute altitude où l’offre s’est construite autour de la glisse et du ski, en misant sur la qualité des domaines skiables. Aujourd’hui, en cette période de fermeture des remontées mécaniques, l’offre des stations village est plus en adéquation avec l’attente de la clientèle.
La destination montagne a-t- elle attiré, comme l’été dernier, de nouvelles clientèles ? Le public qui a rejoint nos destinations cet hiver a complètement intégré le hors-ski et se positionne plutôt sur l’expérience montagne. On observe une quête d’authenticité, un retour à l’essentiel et une envie de profiter de vrais moments de vie. Nous avons aussi le sentiment qu’il y a une nouvelle clientèle qui découvre la montagne, peut-être en partie décomplexée par le fait qu’il n’y ait pas de ski alpin. On retrouve en effet des similitudes avec l’été dernier. C’est une nouvelle typologie de clientèle, qu’il faut accompagner dans sa découverte de la montagne, de ses activités, de ses codes et sur laquelle nous devons aussi capitaliser. Finalement, on remarque des tendances de fond qui sont à peu près les mêmes en été et en hiver. Les gens saturent de la vie urbaine et ont besoin de nature, de s’oxygéner. Cela est évidemment accentué par la pression du Covid. De plus, les incertitudes liées aux mesures sanitaires, ont énormément favorisé le déclenchement de dernière minute, pour une semaine ou du court séjour, mais ce n’était pas une surprise.
L’offre multi-activité a été l’objet de toutes les attentions dans les stations. Face à cet engouement, certes forcé par les circonstances, peut-on encore parler d’activités
« annexes » ?
Il ne faut pas se tromper : sur notre territoire l’ossature de l’économie reste le ski alpin, plus généralement la glisse, et repose donc sur les remontées mécaniques. Et cela va le rester encore un bon nombre d’années. Par contre, je pense qu’il y a un vrai virage à effectuer dans l’approche que l’on a aujourd’hui de la montagne. Peut-être n’avons nous pas su la démocratiser. Il n’y a que 8% des Français qui viennent skier et bien plus qui vont à la mer l’été.
Le succès des activités dites outdoor, comme le ski de randonnée ou la raquette à neige, a été largement médiatisé cet hiver, au risque de gommer la dure réalité à laquelle le milieu est confronté. Cela ne restera-t-il qu’un effet d’aubaine ?
Nous vivons une crise sans précédent pour le milieu de la montagne. On pouvait s’attendre à une saison entièrement blanche en termes de fréquentation touristique. Une fois encore, les professionnels de la montagne ont montré leur faculté d’adaptation, même si le succès des activités outdoor ne compensera pas les pertes dues à la fermeture des remontées, loin de là ! Toutefois, nous devons continuer à capitaliser sur l’outdoor. D’abord parce qu’il va falloir amortir tous les investissements qui ont été réalisés dans l’achat de matériel pour proposer une alternative aux vacanciers. Mais surtout, parce que cela correspond à une vraie tendance, qui est complémentaire de l’offre glisse. C’est une tendance que nous avons sentie il y a deux ou trois ans, quand on parlait de micro-aventure. On pensait que cet engouement pour des activités plus marginales n’était le fait que des nouvelles générations. Mais ce qui est intéressant, c’est que la demande est en réalité bien plus large et multi-générationnelle. Je suis certain que le Covid aura été un catalyseur pour ces activités qui vont s’intégrer naturellement dans l’offre touristique. L’enjeu pour les stations sera de maintenir cette dynamique afin de rester attractives une fois que l’effet Covid se sera estompé, que la vie normale aura repris son cours et que les gens pourront à nouveau voyager vers d’autres destinations.
Cette crise a montré tout l’intérêt d’avoir une offre diversifiée, particulièrement pour les stations de moyenne altitude qui sont aussi les plus exposées aux aléas climatiques. Est-ce qu’un nouveau modéle se dessine ?
Il est certain que les stations de moyenne altitude, que j’appelle stations de charme, bénéficient, dans le contexte de crise que nous vivons, de cet engouement pour la nature et les paysages préservés. Aujourd’hui, il faut penser à l’après-crise et préparer la relance. Il faut réfléchir à toutes les pistes qui permettront de repositionner nos destinations. Je crois beaucoup, par exemple, au principe de l’ascenseur valléen pour emmener les gens skier en dix minutes de 1.000 à 1.800 m. Il faut aussi développer les ailes de saison, les courts séjours, et regarder ce qui se fait ailleurs. Les Pyrénées sont un bon exemple d’anticipation. Comment des stations comme Saint-Lary ou Peyragudes ont-elles réussi à réinventer un modèle autour de la multiactivité quand le ski ne démarre parfois qu’à la mi-janvier ? Il y a des modèles qu’il faut benchmarker. Les activités outdoor deviendront, selon moi, un vrai pan de l’économie de la montagne. Je pense que c’est le moment de se poser les bonnes questions pour réinventer un modèle autour de ce qu’on pourrait appeler « l’expérience montagne » au sens large.
Propos recueillis par Emmanuel Gravaud é
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