Enquête. Les conditions météorologiques ont évolué et poursuivent leurs impacts sur les cimes enneigées. Les stations de sports d’hiver ont-elles les moyens d’y répondre?
Le discours sur l’hiver en montagne des destinations touristiques changerait-il ? Les champs deneige à perte de vue sont aujourd’huiimpactés par les évolutions climatiques et les préoccupations liées audéveloppement durable vont croissant. Elles orientent les stratégiespolitiques et techniques des territoires dont l’économie dépend implicitement de la présence de manteau neigeux. Conscients que « le tout ski est peut-être fini, mais sans le ski, tout est fini », les opérateurs en stations de sports d’hiver s’emparent du sujet. Prévisionniste et adjoint au responsable du centre des Alpes du nord de Météo-France à Chamonix, Gilles Brunot le justifie : « Ceux qui ne voient pas ou qui ignorent le réchauffement dans les Alpes se voilent la face. La situation est claire, les effets flagrants. Il nous reste à anticiper les conséquences ».
Le constat est là
Des conséquences plus rapides et plus visibles en montagne compte tenu des phénomènes d’absorption de l’énergie solaire et de rayonnement. Lorsque le réchauffement moyen frôle 1°C sur la planète, les zones continentales de moyenne montagne atteignent 1,5°C à 2°C. Les études régulièrement instruites, notamment par l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA) et par Météo France, convergent sur ce point. La hausse se poursuit. L’hiver 2019/2020 l’atteste. Si le foehn n’est pas exceptionnel dans les Alpes durant les saisons froides, son passage en décembre 2019 a engendré des phénomènes inédits. Les capteurs de la pointe de la Masse, à 2 800 m d’altitude au-dessus de la station de Val Thorens, ont enregistré douze jours de rafales supérieures à 100 km/h. Le 20 décembre, le record atteignait 175 km/h. En altitudes inférieures, ce vent sec et chaud de secteur sud a chassé la neige déposée par les précipitations automnales. Selon les îlots géographiques, les stations ont oscillé entre cumuls excédentaires (comme en Haute Vallée de Maurienne) ou fonte des premières couches (aux Arcs). Luchon Superbagnères est restée fermée ce début d’année, faute de neige.
D’ici 2050, les effets négatifs du réchauffement climatique sur l’activité touristique d’hi- ver pourraient donc menacer la survie du modèle économique des stations tel qu’il se perpétue depuis l’après-guerre. Si les investissements des gestionnaires de domaines skiables en matière de neige de culture et de gestion de la ressource en eau absorbent les impacts à court terme, les prévisions jusqu’en 2100 laissent augurer une fonte nivéale continue, surtout si l’augmentation de la température moyenne du globe n’est pas contenue sous les trois degrés.
Correction et adaptation
En réaction, deux approches cohabitent dans les milieux de montagne : la correction et l’adaptation. Correction pour laquelle le directeur de Domaines Skiables de France (DSF) rappelle une étude produite en 2008 par Moutain Riders. Celle-ci révélait, déjà, que « dans la lutte contre l’effet de serre qui contribue au changement climatique, 75 % des gaz à effet de serre d’un séjour au ski proviennent du transport, 20 % de l’hébergement. Pour lutter contre le changement climatique, c’est là qu’il faut agir » précise Laurent Reynaud. Les opérateurs de domaines skiables poursuivent sur ce point une décennie de réduction de leur empreinte environnementale, à travers des certifications environnementales (ISO 14001), des labels et des chartes en faveur du développement durable sur les axes liés à l’énergie, aux déchets, à l’intégration paysagère ou à la biodiversité. Mais les enjeux des transports et de l’habitat sont d’une autre dimension. Ils dépassent le cadre d’un seul massif montagneux pour appeler une stratégie d’ordre nationale. C’est dans cet esprit qu’une unanimité politique s’est faite jour dans les Alpes, fin 2019, pour réclamer auprès de la SNCF le retour des trains de nuit et celui des TGV entre les capitales savoyardes et Paris (sous réserve évidemment qu’aucun mouvement de grève n’entrave les circulations). L’argument « écologique » du chemine- ment électrique collectif préféré au déplacement carboné individuel se retrouve également dans la multiplication des programmes « d’ascenseurs valléens », sur le territoire alpin. Ces téléportés ou funiculaires ont vocation à relier des villes basses aux stations et domaines skiables sommitaux, afin de soustraire aux routes de montagne des flux de circulation. En Haute Savoie, le « Funiflaine » est l’un des projets phares. Le téléporté reliera la vallée de l’Arve, à partir de Magland, à la station de Flaine en moins de vingt minutes. Des liaisons similaires se multiplient à Allemont, à l’Alpe d’Huez, aux Arcs (dont le funiculaire « Arc’Express » entre Bourg- Saint-Maurice et la station vient d’être rénové), à Brides Les Bains ou encore à Orelle.
Sur le volet habitat, les initiatives fusent pour concevoir des véhicules financiers permettant de réhabiliter et moderniser l’existant afin d’en abaisser les besoins énergétiques, sinon de construire en neuf sous format hôte- lier. L’ambition tient à garantir des « lits chauds », considérés ainsi dès lors qu’ils sont occupés onze à douze semaines par hiver. Créée en 2013, la Foncière Rénovation Montagne a réuni la Caisse des Dépôts, la Banque populaire Auvergne-Rhône-Alpes, la Caisse d’épargne Rhône-Alpes, le Crédit agricole et la Compagnie des Alpes dans le but d’acquérir et de rénover des appartements en stations de ski afin de les transformer pour mieux les commercialiser. Deux ans plus tard, la Foncière Hôtelière des Alpes nourrissait l’ambition de créer 1 500 à 2 000 lits chauds d’ici fin 2020. Parallèlement, plusieurs stations dont La Plagne ou La Rosière ont multiplié les programmes « internes » d’incitation et d’accompagnement des propriétaires privés vers la modernisation énergétique de leurs biens.
Une priorité nationale
La correction, c’est aussi le sens donné au message émis le 7 novembre 2019 par le président de DSF. Alexandre Maulin a demandé une mobilisation collective visant à faire baisser l’empreinte carbone de tout séjour en montagne, en travaillant avec les collectivités locales, les hébergeurs, les industriels d’infrastructures et de véhicules techniques. « Ce sujet doit devenir une priorité nationale » soutient-il. Le président entend co-construire un futur « décarboné » sur les domaines skiables français afin de répondre aux objectifs nationaux de neutralité carbone à horizon 2050. En cela, membres et partenaires sont invités à soutenir la création, d’ici avril 2020, d’un dispositif de financements mutualisés pour soutenir des solutions concrètes autour de la réduction des gaz à effet de serre, de la préservation de la ressource en eau (captage et stockage), de la biodiversité, des déchets et de l’économie circulaire (valorisation). Cet encouragement à l’innovation orientée résultats et terrain devait être dévoilé lors du salon Mountain Planet, à Grenoble, qui a été annulé.
Correction, c’est enfin la volonté énoncée cet hiver par Savoie Mont-Blanc Tourisme, l’armature promotionnelle des deux départements savoyards, placée sous l’égide du Conseil Savoie Mont-Blanc. Sa directrice, Claudie Blanc détaillait, en septembre 2019, lors d’une rencontre avec les médias nationaux à Paris « l’urgence à préserver ce formidable milieu naturel que constituent nos montagnes, en optimisant la mobilité et l’accessibilité ». En corollaire, l’organisme a conclu avec quatre tour-opérateurs le concept « Ski m’arrange ». Cet accord encourage la commercialisation de courts séjours qui ne débutent plus forcément le samedi, mais au gré des budgets, des envies, de la durée ou de la date. Si la méthode ne retire pas forcément de moteurs des routes, elle limite les embouteillages sabbatiques et les consommations exagérées de carburant.
Adapter les méthodes et pratiques
Plusieurs destinations nordiques et alpines optent par ailleurs pour le « snowfarming ». Inspirée d’une habitude prise dans les pays nordiques, cette solution technique recycle la neige d’une saison sur l’autre afin d’amoindrir l’exposition aux aléas climatiques. La neige est amassée durant l’hiver précédent près des pistes, prioritairement au fond de trous, avant d’être recouverte de sciure ou d’une bâche jusqu’à la saison sui- vante. La perte de volume durant l’été oscille, selon les exploitants, de 20 à 30 %. En France, Nicolas Michaud, directeur du Centre National d’Entraînement de Ski Nordique à Prémanon dans le Jura, est l’un des pionniers. «J’avais observé cette solution lors de coupes du monde de ski nordique en Finlande et en Suède ». Son premier essai en 2009 confirmait le peu de perte. « Depuis, nous récupérons 65 % à 80 % du volume stocké ». Expérimentée à Bessans en avril 2019, cette solution à mobilisé 8 000 m3 de neige sous quarante centimètres de sciure. Elle a permis cet hiver deux kilomètres de piste rouge et verte. A Courchevel, la création d’un tas recouvert d’isolants polystyrène puis de bâches a été préférée « comme à Kitzbühel, car elle se révèle plus facile à mettre en œuvre compte tenu de la pente » indique Hervé Tuaz, directeur des pistes. Il mise sur une érosion maxi de 25 %. Cet automne, 15 000 m2 du glacier de la Grande Motte judicieusement choisis ont aussi été recouverts. « La fonte fait ressurgir des roches. La situation réduit la vitesse » dépeint Pascal Abry, directeur de la Société des Téléphériques de la Grande Motte qui gère les remontées mécaniques de Tignes. En lien avec la régie des pistes et le Parc National de la Vanoise, la station a investi plus de 400 000 € et s’interroge sur la pertinence d’enneigeurs mobiles afin de « poursuivre au moins une décennie d’exploitation ». Le travail des pistes apparaît tout aussi essentiel. « Notre domaine est exposé Nord avec des coins plus fragiles, mais notre engazonnement naturel constitue un réel avantage. Nous le complétons afin de pouvoir ouvrir le domaine avec 20 cm de neige et tenir la saison » confirme Fabien Isoard, responsable damage à Chabanon.
Expériences de snowfarming à La Clusaz et à Courchevel
Les constructeurs d’équipements sont également appelés à amoindrir leurs impacts. Motorisations et consommables optimisés sur les téléportés, engins de damages bardés d’électronique doivent améliorer la gestion de l’énergie. La mesure instantanée des hauteurs de neige sous les chenilles des dameuses permet par exemple une meilleure répartition du tapis. Elle limite les efforts des moteurs et leurs consommations. Ce « pistage » guide aussi une production de neige rationalisée dans ses quantités d’eau et d’électricité. Le monde du damage passe même aux motorisations hybrides et électriques. Sur les moteurs GNR, les fluides « biocompatibles » se généralisent tout comme les garages dotés de récupérateurs de fluides.
Une diversification... à l’année ?
En complément, de nombreuses stations multiplient des stratégies de diversification afin d’adapter leur offre de loisirs à la clientèle, dont les non-skieurs. Espace aqualudique, jeux, salles culturelles, pratiques sportives alternatives s’ajoutent aux services de conciergerie, aux Spa, aux découvertes des territoires. C’est la réflexion qu’a conduite le Cluster Montagne (qui fédère entreprises, fournisseurs et institutions du marché de la montagne ludique) en 2019. Il a officialisé début décembre son premier « cahier » des tendances Montagnes pour anticiper « les réponses aux évolutions climatiques, à la digitalisation de la société et aux nouveaux paradigmes de consommation » dépeint Patrick Grand’Eury, son président. En conclusion, ce cahier invite à « penser la montagne comme un espace de vie à l’année, plus qu’un loisir quatre saisons ». Les résultats de l’observatoire Savoie- Mont-Blanc Tourisme (SMBT) semblent accréditer cette thèse, attendu que la fréquentation des massifs monta- gnards français cumule les records. Avec un taux d’occupation des hébergements marchands de 67 %, la saison d’hiver 2018/2019 a marqué une hausse de deux points par rapport à l’hiver précédent, lui-même en progression avec 39,9 millions de nuitées. Parmi ces usagers, 91 % se déclarent soucieux des enjeux liés aux évolutions climatiques et à la cause environnementale (selon l’étude « Comportements Clientèle Française » réalisée lors de l’hiver 2018/2019 par SMBT, G2A et Co-managing). En septembre 2019, une autre enquête rendue par l’IRSTEA confirmait que 72 % des sondés s’attendent, sous dix ans, à endurer les effets du changement climatique lors de leur séjour à la montagne. Quatre sur dix seraient même disposés à modifier des habitudes de consommation, des pratiques ou des séjours en stations de sports d’hiver. Il le faudra. ///R.Sandraz
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