À Tokyo 2020, l’escalade va donc faire son entrée aux Jeux olympiques, pour la première fois de son histoire! Fruit d’un long travail mené auprès du CIO, cette reconnaissance, toutefois, ne va pas sans soulever quelques questions. Quel impact sur le marché? Est-il possible de gérer l’essor de la pratique sans renierses racines? Comment s’inscrire dans la durée?
Pour harmoniser le développement de son sport, l’IFSC a mis en place l’Olympic Engagement Project, un processus impliquant les fabricants, les médias et plus globalement ce qu’elle nomme « la communauté », athlètes et pratiquants. Dans ce cadre, plusieurs journées d’échanges ont eu lieu, comme celle de Lausanne, en avril dernier, réunissant plusieurs grands acteurs du monde de la verticalité et des membres du CIO et de la fédération internationale.
Les forces en présence
Des marques historiques avaient étéconviées, telles que Petzl, La Sportiva, Scarpa, Entre Prises, EB, Mammut ou encore Black Diamond. Mais il y avait aussi des figures émergentes du milieu, très enthousiastes à l’idée du projet olympique, comme les start-up Luxov et Vertical Life, ou des responsables de réseaux de salles privées. L’objectif affiché par l’IFSC : réfléchir ensemble à l’évolution de l’escalade dans sa globalité, dans sa dimension à la fois sportive, économique ou éducative.
Pour Jérôme Meyer, en charge de la coordination olympique à l’IFSC, il s’agit avant tout de s’assurer qu’une « discussion existe autour du développement de l’activité » afin de pouvoir « rester en contrôle de notre sport ». Voilà pour le discours officiel même si dans la perception de ceux qui ont pris part aux débats, l’opération ressemblait plus à un délicat exercice de communication à destination du CIO, visant à démontrer la capacité de l’IFSC à entraîner l’ensemble de la filière dans son sillage. Néanmoins, tous ont salué la motivation des membres de la fédération internationale pour défendre une certaine vision de la pratique, car sa marge de manœuvre leur semble bien étroite.
Fédérer la communauté et engager les fabricants passe par une explication précise des mécanismes de décision du CIO et de l’inclusion de l’escalade aux JO. Ceci sous-entend aussi des échanges nourris avec les principales entreprises de la branche. C’est sans doute la raison pour laquelle l’IFSC a souhaité les entendre sur leur perception des pratiques et des évolutions sociétales. Comme le dit Denis Garnier, PDG de la PME Luxov, spécialisée
dans les prises d’escalade connectées, « sur le plan du ressenti, je crois que l’IFSC a fait le constat du manque de proximité des marques et de l’influence forte qu’elles peuvent avoir. Nous faisons partie collectivement d’un eco-système et j’ai trouvé très intéressant de voir la sensibilisation de l’IFSC sur ce point et la mise en place d’un espace de communication partagé.»
Parmi les thèmes abordés bien sûr, les formats olympiques à Tokyo puis à Paris 2024. Car la question de l’intégration de la vitesse fait encore débat et les épreuves sont encore susceptibles d’évoluer en 2028 à Los Angeles. Mais au-delà, c’est aussi la question du statut de l’industrie de l’escalade et des institutionnels qui est en jeu dans le contexte du boom des salles de bloc et de l’émergence d’un nouveau type de grimpeur, plus urbain. Car en définitive, qui est vraiment ce néopratiquant ? Connaît-il l’activité, son histoire, ses champions anciens ou modernes ? S’intéresse-t-il à la falaise ? Peut-on raisonnablement l’inciter à y aller pour d’évidentes questions de sécurité ? Pour beaucoup d’observateurs, le décalage semble de plus en plus grand entre le format compétitif tel que l’envisage le CIO et la réalité du terrain.
Ainsi pour Christian Popien, directeur général de plusieurs salles outre-Rhin, « L’IFSC a compris qu’elle avait probablement trop peu communiqué auprès des grimpeurs. Et maintenant elle a besoin de leur soutien et de relais pour diffuser son message. » Les jeunes générations, en particulier, qui évoluent dans les salles de bloc n’ont pas réellement de connexion avec la compétition et bien souvent ne s’y intéressent pas. « Je crois qu’un immense fossé demeure, concède Christian Popien, entre la vision de l’IFSC et le développement actuel de notre sport ». Car qui est cette communauté à laquelle l’IFSC semble vouloir s’adresser ? Se rend-elle d’ailleurs compte qu’elle existe en tant que telle ? Les fabricants sentent bien que tous les repères habituels sont en train d’exploser.
Les enjeux
Pour autant, le CIO a pris conscience de l’image ultra positive que peut véhiculer la grimpe, des valeurs fortement olympiques qu’elle porte en elle : respect d’autrui, dépassement de soi... « Ce qui s’est passé aux Jeux Olympiques de la jeunesse à Buenos Aires en 2018 a convaincu le CIO que l’escalade faisait définitivement partie des tendances urbaines et qu’elle va contribuer à les rajeunir », explique Grégoire de Belmont, du réseau Arkose. Pour les entreprises, évidemment, les enjeux sont de taille. Car il y a de futurs marchés à la clef et des partenariats à mettre en place, à l’horizon de Paris 2024.
Si dans les discours officiels, la réunion de Lausanne a globalement satisfait les participants, nombreux ont été ceux à regretter le peu de sociétés invitées et l’absence totale de médias. Pour Manuel Moreau, en charge des partenariats et de l’événementiel chez Petzl, « c’est une bonne démarche mais la représentativité du milieu n’était pas complète. Si l’on veut continuer à driver le développement de l’activité, il faut qu’on soit plus nombreux autour de la table. Car il faut saisir cette opportunité de travailler ensemble à l’expression d’une vision de l’escalade qui fasse réellement sens. »
L’IFSC a d’ailleurs bien conscience des limites de l’exercice. « Ce n’est, de toute façon, que le début d’un long processus, a souligné Charlotte Durif pour la fédération internationale, et savoir que les personnes qui sont impliquées aujourd’hui répondent très positivement à cette démarche, c’est un feu vert pour élargir le projet ». /// LG
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