Président du groupe Elpro Sports à La Plagne et co-actionnaire de l'enseigne Skimium, Eric Laboureix alerte quant à la situation économique des magasins en station, et plus largement des acteurs de la montagne.
Comment avez-vous accueilli cette décision du gouvernement de fermer les remontées mécaniques pendant les fêtes de fin d’année ?
Sans remontées mécaniques, on ne peut pas dire qu’une station de ski soit ouverte… Il ne faut pas rêver, les détaillants ne vont pas réaliser plus de 5% ou 10% du CA de l’an dernier. Or, cette activité des vacances de Noël représente 20% du CA global d’une saison, vous voyez le désastre ! Pour moi, la cohérence aurait été de faire un vrai confinement, de sortir le vaccin et de tout rouvrir après. Il y a un problème ? Ok, on soigne et on repart !
Auriez-vous donc préféré une fermeture totale sur cette période ?
Non. Qu’il y ait un peu de monde, que l’on soit ouvert et que l’on puisse travailler un peu, c’est très bien. Mais il faut que l’Etat prenne en considération cette situation particulière : on ne va pas gagner d’argent, on va juste essayer de ne pas perdre nos affaires ! Ce que je ne voudrais pas, c’est que demain, sous prétexte d’avoir pu travailler, les pouvoirs publiques ne nous aident pas. Voilà mon inquiétude.
Justement, quelle est aujourd’hui la situation des détaillants en station ?
Certains magasins n’ont pas accepté de réceptionner les commandes passées. Ils préfèrent attendre de voir comment la situation évolue pour recevoir la marchandise et mettre en place leurs points de vente. Chez Elpro, au contraire, nous avons accepté toutes nos livraisons et nous avons joué le jeu en embauchant nos saisonniers au 14 décembre puis en le mettant au chômage partiel.
Pourquoi avoir fait ce choix ?
Parce que nous sommes allés ce vers quoi le gouvernement nous orientait ! L’Etat disait qu’il nous aidait, assurait le 0 à charge pour le chômage partiel, annonçait une réouverture au 7 janvier… Donc moi, si on me dit ça, j’accepte mes marchandises, je mets en place mes magasins pour être prêt pour l’ouverture. J’ai une position positive ! Mais comme l’Etat n’a pas été des plus transparents…
C’est-à-dire ?
Lorsqu’ils annoncent sur les plateaux télé que le chômage partiel de nos salariés ne nous coûtera rien, c’est faux ! Nous avons encore à notre charge la CSG et les congés payés. Cela représente quand même quelques centaines d’euros par salarié tous les mois. Et avec 30 salariés dans notre groupe, ça monte vite. D’autant qu’à l’heure où nous nous parlons, les aides sont actées jusqu’au 31 décembre, on ne sait pas ce qui va en être pour la suite…
Et puis, quand ils nous disent qu’il ne faut pas s’inquiéter car les PGE seront prolongés, il oublient de préciser qu’il faudra les rembourser à un taux plus important que les 0,25% promis au départ ! Je leur en veux car ils ne disent pas la vérité et ils sont très loin de la réalité. Ils ne se rendent pas compte de ce qui se passe en station de sports d’hiver et notamment en Tarentaise. C’est le massif le plus touché parce que notre saison s’étale jusqu’au 30 avril. Certains pouvaient réaliser 20% ou 30% de leur CA de l’année sur cette période mars/avril… Chez Elpro par exemple, nous avons enregistré une baisse de 31% de notre CA par rapport à l’année précédente. Une baisse à laquelle vont s’ajouter les pertes de cette saison. C’est un cataclysme qui se passe !
Difficile dans un tel contexte d’organisez-vous vos achats pour la saison prochaine… Que souhaiteriez-vous de la part des marques : des nouveautés ou des reconductions de gammes ?
Des discussions sont actuellement en cours pour une réouverture des remontées mécaniques le 7 janvier mais avec la crise actuelle, je serai très surpris qu’on puisse rouvrir à cette date. Sincèrement, cela me parait peu probable… Or si on n’ouvre pas, on n’achètera pas de skis ou de vêtements. Nous avons diminué nos achats au printemps pour cet hiver 20-21 et là on nous demande d’acheter pour l’hiver prochain ! Comment voulez-vous qu’on se projette sur des achats à N+1 ! Donc aujourd’hui, notre préoccupation est d’abord d’ouvrir et d’écouler ce que nous avons.
Même si les remontées mécaniques sont fermées, la montagne reste accessible. N’est-ce pas le moment idéal pour tous les acteurs de la station de jouer à fond la carte de la multi-activités ?
Aujourd’hui, mon entreprise compte 4 magasins de sport, 2 boutiques de prêt à porter, 2 écoles de ski, une activité motoneige, un parc aventure, des fatbikes électriques, 2 moniteurs parapente… J’ai donc cette offre multi-activités. Seulement, qui consomment ces activités outdoor ? Ceux qui viennent pour faire du ski ! Les gens ne viennent pas en station pour l’accrobranche ou la motoneige mais pour skier, notamment en Tarentaise.
Cette situation si particulière ne peut-elle pas, justement, servir de déclic…
Il y a évidemment un intérêt économique à la multi-activités mais ce n’est pas ce qui nous fait vivre. Economiquement, nous ne sommes pas organisés pour vivre à travers ça. Ce qui nous coûte cher aujourd’hui, ce sont nos structures qui nous permettent de répondre présent sur l’activité ski, notamment les loyers de nos magasins de sport. Si demain je dois faire uniquement de la multi-activités, je n’ai plus besoin de tous ces mètres carrés qui me coûtent cher. Donc oui, cela peut être un déclencheur pour dynamiser cette offre mais cela va prendre du temps pour se réorganiser. On ne peut pas, du jour au lendemain, improviser un modèle économique viable uniquement basé sur de la multi-activités et compenser le reste. En tout cas aujourd’hui, cela ne répond pas au problème économique que nous avons.
// Propos recueillis par Thomas Héteau
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